Bonjour,
Oui, ma mère était aussi actrice. Mais elle l'était bien avant moi, bien avant ma naissance. On a écrit tellement de choses sur nos rapports conflictuels, que je suis assez contente de votre question.
Lorsque j'étais encore enfant, ma mère et mon père Wolf Albach étaient deux grands acteurs en Allemagne. Puis la guerre est arrivée, mes parents ont divorcé, n'ont plus tourné et sont tombés dans l'oubli dans le coeur des Allemands. Pourtant le producteur et ami de ma mère avant la guerre, Kurt Ulrich proposa à ma mère un film, Lilas Blancs, dans lequel finalement elle me donna le petit rôle de sa fille. Le film était un remake d'un film muet du même nom dans lequel ma mère jouait le rôle que j'avais maintenant, c'est-à-dire celui de la jeune fille. Ce film relança ma mère dans le circuit cinématographique allemand. Mais contre toute attente et surtout de ma mère, ce n'est pas elle qui fut remarquée, mais moi!
À l'époque je ne rêvais pas de devenir actrice, j'étais au pensionnat de jeunes filles et vivais comme toutes les jeunes filles de mon âge. Le cinéma je m'en foutais un peu; ni moi ni mon frère Wolfgang ne furent dans la confidence de ma mère, jamais à la maison ma mère nous parlait de cinéma.
Bref! Suite aux Lilas Blancs, je crois que c'était en 1953 ou 54, ma mère fut contactée par le grand réalisateur allemand Ernst Marischka, qui souhaitait me faire faire des essais pour un film qu'il préparait, Les jeunes années d'une reine, une sorte de biographie romancée de la reine Victoria d'Angleterre. Ma mère accepta mais à une condition, celle d'avoir également un rôle! J'avais 15 ans, les vacances approchaient et je me faisais une joie de retrouver mes petites amies; je n'avais aucune intention de passer mes vacances enfermée à faire un film. Ma mère m'ordonna de me rendre avec elle au studio de Monsieur Marischka. Très mécontente et furieuse je ne pouvais pas faire autrement. À partir de cet instant, ma mère fut mon impresario, et son deuxième mari (mon beau-père) mon trésorier. Je n'avais rien à faire, qu'obéir aux ordres! Le tournage fut effrayable et éprouvant pour mon âge, je suis tombée malade plusieurs fois; enfin, le film sorti et eut un certain succès. Dans le même temps, ma mère n'avait toujours pas eu de nouvelles propositions de film pour elle! Ensuite, elle me retira du pensionnat, me fit faire plein de photos et plein de répétitions; j'étais en colère, je voulais ma liberté!
Les jeunes années d'une reine était en train de faire un tabac et rapportait des tas de millions de Marks, que ma mère me mit sur le fait accompli en me disant: - Ma petite tu seras actrice! C'est alors que le réalisateur Kurt Hoffman proposa le film Feu d'artifice, avec une autre actrice allemande, Lily Palmer. Une fois encore, ma mère accepta sur le champ à condition qu'elle figure au générique! Suite au succès des Jeunes années d'une reine, ma mère augmenta mon cachet et mon beau-père plaça cet argent dans ses sociétés d'hôtels et de restaurants. Ernst Marischka mit son grapin sur moi, et proposa à ma mère le film Mam'zell Cri-Cri, où elle avait le rôle de... ma mère! Sans le savoir, Marischka préparait en douce le premier Sissi. Devant le succès que je remportais, ma mère devenait euphorique et mon beau-père calculateur. Je devais subir sans rien dire, un point c'est tout, mais j'avais déjà marre de toute cette pression autour de moi; ma mère ne cessait de me trimbaler de soirée mondaine en soirée mondaine pour bien me montrer au cinéma allemand, j'étais devenue un animal de foire, la fille vers qui l'on se retourne en passant! Ma mère, elle, était devenue la Mère de Romy Schneider - pseudonyme choisi par ma mère. L'enfer!
Après Cri-Cri, Marischka proposa à ma mère la super-production en couleur, Sissi. Elle obtint une fois encore le rôle de ma mère et son cachet ne cessait d'augmenter: dans le cinéma allemand nous étions les deux actrices les plus chères!
Sissi fut éprouvant à tourner mais j'ai eu droit à un traitement de star, et je m'entendais très bien avec mon partenaire Karl-Heinz Böehm (Franz). Puis ce fut la catastrophe quand ma mère décida de me fiancer à lui, pour la publicité, mais tout de même! Chaque soir je devais sortir avec lui, lui faire des bisous, enfin tous ces trucs que l'on fait quand on est amoureux, mais nous le faisions devant les photographes, devant le monde; j'étais gênée! Sissi eu un énorme succès pas seulement en Allemagne, mais dans le monde entier! J'étais devenue plus célèbre que Hitler, comme disait ma mère! Je n'avais plus un instant à moi, la presse, toujours la presse qui me courait après, je croyais devenir folle. Nous nous sommes mises à voyager pour présenter Sissi partout, même à Hollywood! Je mangeais des trucs que je n'aimais pas, à faire des choses que je détestais faire, bref, je voulais rentrer! Karl-Heinz fut très gentil avec moi et essayait de m'amuser, surtout sur les pistes de danses dans les soirées.
Devant l'immense succès de Sissi, Marischka écrivit un deuxième, Sissi, Impératrice. C'était reparti pour un tour! Toujours cette lourde perruque du matin jusqu'au soir qui me faisait mal au dos, sans parler de ces lourdes robes... j'en avais ras-le-bol! Mais en même temps je commençais sérieusement à aimer le cinéma, à aimer être une autre personne, et je souhaitais améliorer mon jeu d'actrice, malheureusement avec Sissi c'était impossible; toujours la même chose, le même sourire, les mêmes pleurs, la même démarche...
Pendant le tournage du deuxième Sissi, le réalisateur Harald Braun me proposa le sujet de son film Mon premier amour. Après lecture du scénario, l'histoire se passait de nos jours et non pas du temps d'une reine ou d'une princesse, j'acceptai sur le champ! J'allais pour la première fois pouvoir vraiment jouer mais également et pour la première fois sans ma mère! Je commençais tout doucement à vouloir mon indépendance! Sissi, Impératrice eut encore plus de succès que le premier. Ma mère m'annonça que désormais mon cachet d'actrice allait dépasser les 500.000 Marks. Inutile de vous dire que c'était une fortune à l'époque, aucune actrice allemande n'avait jamais reçu une telle somme. À contrecoeur et pour raison d'argent -Harald Braun ne pouvait me donner les 500.000 Marks- ma mère signa le contrat de Mon premier amour. Elle avait d'abord refusé, mais devant mon exigence de ne pas faire un troisième Sissi si elle refusait de signer avec Braun, elle signa.
Ensuite ce fut au tour du réalisateur Alfred Weidenmann pour le film Kitty, qui me demanda. Lui non plus n'avait pas les 500.000 Marks pour mon cachet, mais ma mère signa tout de même sous ma promesse et signature d'un troisième Sissi.
Marischka revint à la charge avec son troisième Sissi, Sissi face à son destin et signa avec ma mère pour un cachet de 600.000 Marks pour moi, et un cachet de 100.000 Marks pour elle, pour son rôle. Il était clair que ma mère ne vivait qu'à travers moi, sans moi et Marischka, elle n'aurait jamais refait de cinéma. D'ailleurs les deux, Marischka et ma mère eurent leurs heures de gloire grâce à moi!
Une fois le troisième Sissi terminé et sorti sur les écrans, j'étais devenue une vraie sainte pour tous les Allemands, j'étais devenue leur chère Sissi. Je ne pouvais plus sortir sans être appelée Sissi, Romy Schneider, l'actrice avait disparu au profit de Sissi. Dans les journaux, à la télé, à la radio, j'étais présentée comme Sissi et non en tant que Romy Schneider. Terrible cette époque, tous ces gens ne pouvaient tout simplement pas comprendre que JE N'ÉTAIS PAS SISSI, mais une simple actrice!
Le réalisateur Helmut Kautner me proposa alors le film Monpti, tourné à Paris et dans les studios en Allemagne. Je m'empressait d'accepter pour fuir cette foire à Sissi. J'y ai rencontré le jeune acteur allemand Horst Buchholz et j'en suis tombée amoureuse. Amoureuse surtout pour oublier Sissi, pour vider ma tête de ma mère et de mon beau-père qui menaient grande vie avec l'argent que j'avais gagné! Malheureusement après le tournage de Monpti, Marischka est revenu avec un quatrième Sissi. Aussitôt je refusai. Marischka porta mon cachet de 600.000 Marks à 750.000 Marks, puis à 800.000 Marks et enfin alla jusqu'au million de Marks, je refusai toujours, je pensais que si j'acceptais, Romy Schneider l'actrice serait finie pour toujours, et puis je voulais faire autre chose que cette impératrice de malheur. Ma mère se fâcha, puis son mari et enfin tout le monde se lia contre moi.
J'étais devenue une ingrate, une petite salope qui refuse un million de Marks. La presse allemande se déchaîna contre moi, puis ce fut au tour des Allemands eux-mêmes: Comment elle refuse de nous donner Sissi? Pour qui se prend-elle cette fille? Un référendum fut officiellement mis en place, 80% des Allemands souhaitaient me voir refaire un nouveau Sissi! Écoeurée, finie et vidée, j'ai quitté l'Allemagne et suis venue à Paris. Les Allemands me traitèrent de lâche, de vendue, et je ne sais quoi encore, ma mère me tourna le dos, et mon beau-père refusa de me donner l'argent que j'avais gagné et dont j'avais besoin pour ma nouvelle vie. Finalement ils consentirent à me verser chaque mois 50.000 Francs. C'était peu à côté des millions que j'avais gagnés; mais j'étais libre, heureuse, et en France j'étais une star. D'ailleurs les propositions ne se firent pas attendre, Aldred Weidenmann venu d'Allemagne me proposa le film Mademoiselle Scampolo avec une production française, j'acceptai. À Paris, c'était la fête tous les soirs, tous les jeunes acteurs et actrices voulaient me rencontrer, je me suis fait quelques amis, Brigitte Bardot, Catherine Deneuve, Claude Brialy et... Alain Delon. Lui je l'ai rencontré la première fois pour le film Christine de Pierre Gaspard-Huit. On m'avait demandé de choisir sur photo mon partenaire, je suis tombée sur la photo de Alain, je l'ai choisi! Après Christine, tout s'est enchaîné, je veux dire avec Alain, pas avec le cinéma.
À Paris, les producteurs avaient tous peur de prendre «celle qui à été Sissi», finalement Sissi me ferma les portes du cinéma. Terriblement pressée de faire mes preuves d'actrice, j'étais malheureuse parce que rien ne venait ou presque; des propositions m'était faites, mais du côté allemand, les réalisateurs allemands me couraient après: Rolf Thiele pour Eva, Axel Van Ambesser pour La belle et l'empereur et enfin l'excellent Robert Siodmak pour Katia. J'acceptai tout, j'avais besoin de travailler. Tous ces films sortirent d'abord en France puis en Allemagne où ils n'eurent aucun succès auprès du public allemand; ils ne m'avaient toujours pas pardonné de m'être enfuie!
Alors que la carrière de Delon décolait sérieusement, moi, la mienne ne bougeait pas, j'étais devenue une bobonne, j'étais devenue la petite fiancée de Delon. Les producteurs de Delon lui conseillèrent alors de se fiancer avec moi afin d'officialiser notre union, mais je savais bien que c'était uniquement pour la publicité de Alain, malgré tout j'acceptai et nos «fiancailles» furent célébrées en grandes pompes sur le lac de Lugano où ma mère avait acheté une villa -avec mon argent. Ma mère ne pouvait pas souffrir Delon, en fait elle le détestait. Ma mère et moi on se parlait à nouveau, mais très fraîchement. Puis elle m'apprit un jour, que mon beau-père avait fait faillite, et que tout mon argent n'existait plus. Tous les hôtels et restaurants de mon beau-père avaient été vendus pour mauvaise gestion. Ça fait que je me retrouvais sans un sou, heureusement que Delon était là. Voyant mon désarroi, il me propose un petit rôle dans Plein soleil de Jacques Deray. Après ce fut le noir complet, jusqu'à ma rencontre -toujours grâce à Alain- avec Luchino Visconti et enfin avec Orson Welles. Le premier me proposa le sketch dans Boccace 70 et le second le film Le procès...
J'espère, cher Monsieur Dumontais, n'avoir pas été trop longue... je me suis un peu enflammée!
Rosemarie